L’archiduchesse à la fête du ventre
S’il y a bien un évènement que j’aime à Rouen c’est la fête du ventre ! L’expression gouailleuse me met en transe et me fait vibrer des pieds à la perruque ! Tous ces banquets et ces dégustations, tous ces produits du terroir qui n’attendent que nous ! C’est tellement excitant. Tellement anti conventionnel. Je ne laisserai pour rien passer cette journée. Pour rien ! J’ai d’ailleurs, l’an passé, refusé un dîner chez l’ancien ambassadeur de Suède, un lointain, lointain cousin de mon arrière-grand-mère maternelle, la duchesse de la Loges pour aller m’y amuser. Fi des mondanités ! J’aime la démocratisation des plaisirs. On a les privilèges que l’on veut !
Entre nous, mes chéris-chéris, j’ai bien fait ! Il m’est arrivé un truc de dingue ! Oui de complètement dingue ! Je m’en esclaffe encore. Moi, Gab l’archiduchesse, je suis devenue comme la reine Marie-Antoinette, une bergère éphémère ! Seigneur ! Si ma snob de mère m’avait vue, elle en aurait fait une syncope. Mais tout cela s’est passé si soudainement, que je n’ai même pas compris ce qui m’arrivait. J’étais embarquée avec perruque et lunette dans une aventure qui me dépassait style escape game sans que j’y puisse grand-chose.
En quelques minutes, je me suis retrouvée au milieu de bestiaux cornus assez odorants, je dois l’avouer, affublée d’une large casquette de paysan en gros drap bleu, plantée sur ma perruque légèrement malmenée et revêtue d’une large blouse qui je pense ne sortait pas du dernier défilé couture de la Fashion Week. C’était un style…un peu bonheur est dans le pré, si vous voyez… Et tout cela parce que Je m’extasiais cinq minutes auparavant sur les chèvres d’un beau métayer et que par politesse, je lui disais que mon rêve de gamine était de traire une chèvre et de faire du fromage ! Ma gouvernante m’a toujours dit que les mensonges même pieux n’attiraient que les ennuis. J’aurais dû m’en souvenir. L’homme m’a pris au mot.
Noblesse oblige, il m’a fallu faire bonne figure et me métamorphoser en chevrière, sous les rires des badauds à qui je l’ai compris j’offrais un spectacle croustillant et exceptionnel ! Ce n’est pas tous les jours, que l’on voit une archiduchesse, assise sur un tabouret de manant tirant en vain sur les pis d’une petite biquette fripouille et rebelle. Pour me donner contenance, j’expliquai à l’attirant métayer tout en essayant de faire jaillir du lait que le duc de Sully, mon aïeul, ministre du roi Henri IV avait dit : labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France… Il me regarda d’un air étonné, me demandant, si Monayel Sully était un membre du show-biz , tout en précisant qu’il n’avait pas le temps de lire Voici . Poliment j’ai souri, lui conseillant de lire Point de vue plutôt que Voici. Une grande claque me désarçonna brusquement de mon tabouret. Mon derrière se retrouva dans la paille mais je compris avec joie que je venais d’être adoubée trayeuse de chèvre : dans le sceau, deux giclées de lait venaient de tomber. Parbleu, j’étais sauvée ! On m’apporta une gouleyante bolée, on trinqua à la Normandie, à l’agriculture et à la révolution française. L’épreuve du feu étant passée, il n’était plus question pour moi de m’esquiver… Je suis restée, un peu crottée à mélanger le lait des biquettes et à démouler des fromages. Je ne trouvais pas si mal cette large blouse qui avec quelques retouches aurait pu passer pour du Kenzo vintage. J’étais mieux ici qu’à la réception de l’ambassadeur. A la tombée du jour, le beau berger me tendit un petit paquet joliment orné d’un ruban en lin et m’a murmuré : chère Archiduchesse, cette leçon vaut bien un fromage…
Le clin d’oeil de Stéphanie :